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Histoire du noir, une vraie couleur

L’histoire du noir est associée à la nuit, à la mort, à l’angoisse mais aussi à l’élégance, à l’humilité, à la dignité.

Cet article fait partie de la série « les couleurs, toute une histoire » à laquelle appartiennent également les articles suivants :
Histoire du bleu, celle d’un paradoxe
Histoire du vert, couleur ambivalente
Histoire du rouge, une couleur puissante
Histoire du blanc, couleur divine
Histoire du jaune le mal aimé
Histoire du rose, une demi-couleur

Ce qui est sombre n’existe que par la lumière – Pierre Soulages

Le noir est une couleur

Dans l’antiquité et dans la culture médiévale, le noir, comme le blanc et le gris, est une couleur à part entière. Dans le prisme de Newton, il n’y a plus de place pour le noir et le blanc. Mais si les physiciens les considèrent comme la somme ou comme la soustraction d’autres couleurs, pour l’historien, le sociologue et le citoyen, c’est une couleur comme les autres. Tout est culturel dans les questions de couleur.

Une couleur n’a pas de sens en elle-même, elles ne le prend que par rapport à une ou plusieurs autres couleurs auquelles elle est associée ou opposée.
Le noir n’est pas toujours opposé au blanc. Ces deux couleurs ont été presque toujours associées à une troisième dans les civilisations anciennes : le rouge. Cela disparait dans les sociétés plus récentes ou le noir s’oppose au blanc sans passer par le rouge.
Quand le jeu d’échec, né aux Indes du nord au VI° siècle, arrive en occident il y a des pièces noires et des pièces rouges. Vers l’an mille en occident on le retrouve avec des pièces noires et blanches

Grotte de lascaux
Grotte de lascaux

En latin, il existe deux mots pour désigner le noir : ater, qui désigne le noir mat, le noir éteint, et niger, qui désigne le noir brillant, lumineux. Ater est devenu un mot négatif, qui a donné atroce et atrabilaire. Niger est au contraire un mot positif. C’est son inverse qui est négatif, comme on le voit avec le verbe dénigrer, qui signifie nier l’éclat d’un fait, d’un argument ou d’une personne. 
On retrouve cela aussi dans les langues germaniques, où le mot black est un beau noir, brillant, alors que le mot schwartz est plutôt un mauvais noir.
Il y a une plus grande sensibilité au noir et au blanc dans les sociétés anciennes qu’aujourd’hui, et il faut y faire attention pour ne pas faire d’anachronisme. Notamment, nous traduisons par des termes de couleur des mots grecs ou latins qui renvoient davantage à la luminosité ou à la densité et seulement partiellement à la coloration.

Aujourd’hui nous pouvons dire le noir, le bleu… mais un grec ou un romain n’aurait jamais pu dire ça, parce qu’il n’envisageait pas les couleurs dans l’absolu, hors de tout support, de toute matérialité. Et en grec ou en latin, les termes de couleurs sont toujours des adjectifs. Ils ne deviennent substantifs qu’au haut moyen âge.

D’après l’Évangile (apocryphe) de l’Enfance selon Thomas, le jeune Jésus aurait été placé comme apprenti chez un teinturier nommé Salem.
Selon ce récit, Jésus faisait des bêtises : il aurait mis tous les vêtements à teindre dans une même cuve, au grand désespoir du teinturier qui craignait que tout soit gâché. Mais miraculeusement, chaque vêtement serait ressorti de la cuve avec exactement la couleur souhaitée par le client.

Cette histoire renforce l’idée de Jésus comme une figure protectrice des artisans, et notamment des teinturiers qui le prennent comme saint patron. La symbolique de la teinture – la transformation des tissus par immersion et changement de couleur – peut également être vue comme une métaphore spirituelle, représentant la purification et la transformation de l’âme. Au fil du temps dans cette légende, Jésus fait ses bêtises dans différentes couleurs : en noir au haut Moyen-âge, puis, quand le noir se revalorise, il les fait en bleu puis plus tard en jaune. Donc il fait toujours ses bêtises dans ce qui est alors considéré comme la mauvaise couleur.

Toutes les images médiévales sont polychromes. Mais le XV° siècle est celui de l’émergence de l’imprimerie et de la gravure et en 3 générations la majorité des images est en noir et blanc.
À partir du XVIe siècle, un débat esthétique s’instaure entre les tenants de la couleur, principalement représentés par l’école vénitienne, et ceux qui privilégiaient le trait et le dessin, dominés par l’école florentine et romaine. Ce débat reflétait des conceptions divergentes de l’art : la primauté de l’émotion et du sens visuel contre celle de la structure et de la rationalité.
Ce débat a perduré bien au-delà de la Renaissance, jusqu’au XIXe siècle.

Pendant longtemps, avant la chimie des colorants, il était difficile d’obtenir de vrais noirs. On les produisait à partir de sarments de vigne, d’os ou d’ivoire brulés, mais on ne pouvait pas les utiliser sur de grandes surface. Faire pénétrer le noir dans les fibres des tissus c’était très difficile.
Les codes vestimentaires sont dépendants de contraintes techniques et économiques mais aussi morales. A la fin du Moyen-âge, on considère que les couleurs bleues et rouges, chères, doivent être réservées aux couches supérieures de l’aristocratie. Les patriciens, les grands bourgeois, qui sont souvent plus riches que les aristocrates, sont furieux de ces interdictions et font exprès de se vêtir de noir. Et ils demandent aux teinturiers de faire des progrès dans cette couleur. La mode se répand en Europe à partir de l’Italie. Les élégants, les princes s’habillent en noir. Les marchands, les bourgeois s’approprient le noir qui se trouve valorisé.
Encore aujourd’hui, les hommes sont souvent habillés en noir. En le faisant on se met à l’abri d’une faute de goût, c’est neutre, sans risque, et le noir se marie avec à peu près tout.

La Bible de Gutenberg, 1455
La Bible de Gutenberg, 1455
1908, la Ford T
1908, la Ford T

Le XVII° siècle est la période ou les européens ont été le plus malheureux. L’espérance de vie tombe très bas. En France, on vit beaucoup plus longtemps sous Saint Louis que sous Louis XIV. Le climat est dégradé, il fait très froid, c’est un siècle très religieux, avec des ordres nouveaux rigoristes, et le noir se répand partout.

Par rapport au XVII°, très sombre, et au XIX°, assez sombre, le XVIII° siècle est le siècle des lumières, et c’est celui de la couleur. La chimie des colorants, à la fois en peinture et en teinture, fait des progrès. Le noir est en recul jusque vers 1775-1780 ou il redevient à la mode, particulièrement dans le vêtement masculin, porté par un courant moral un retour vers le néoclacissisme.

Au XIX°, le grand capitalisme est aux mains des protestants aussi bien en europe qu’aux Etats-Unis. Et la priorité est donnée aux couleurs neutres : noir, blanc, gris, bleu, brun.
Les premiers appareils ménagers, les premières voitures, les premiers stylos sont noirs.

Symbolique du noir

Comme toutes les couleurs, le noir a ses bons et ses mauvais côtés. Suivant le contexte ou l’époque, les bons aspects sont plus nombreux que les mauvais ou inversement.

Dans beaucoup de récit des origines, au commencement était le noir. Le noir est donc une création. Le noir est associé à la créativité, à la fécondité, notamment autour du bassin méditerranéen. En Egypte par exemple, c’est la couleur associées aux crues du Nil qui fertilisent les sols.

Le noir est associé à l’humilité, à la tempérance, à la dignité.

Dans le sport, c’est la couleur du haut niveau, de la force, comme on le voit avec la ceinture noire du judo ou les codes couleur des pistes de ski.

Mais le noir c’est aussi la couleur de l’angoisse, de la peur du noir, de la nuit. Il est associé à la mort, au deuil, à la faute, au péché. Les animaux noirs comme le corbeau, comme l’ours, sont très dévalorisés.
Le noir est étroitement associé à la nuit, donc aux ténèbres, au monde souterrain. La culture occidentale est fondée sur l’idée d’un arrachement au noir, cette idée qu’il faut faire la lumière sur les choses. L’allégorie de la caverne de Platon en est une illustration marquante.

le chat noir

Chat noir synonyme de malheur
Chat noir synonyme de malheur

Durant le Moyen Âge, particulièrement en Europe, les chats noirs ont été victimes de nombreuses persécutions en raison des superstitions et de la peur qu’ils inspiraient. Cette période a connu son apogée pendant l’Inquisition (XIIIe-XVIIe siècles), où les chats noirs étaient associés à la sorcellerie, au diable et à la malchance.

Cette persécution a eu pour conséquences une diminution significative de la population des chats noirs dans certaines régions. Paradoxalement, cela a entrainé l’augmentation des populations de rats, contribuant à la propagation de la peste noire. Les chats noirs avec de petites tâches blanches ont srvécu car considérés comme moins maléfiques

Cette vision négative n’est pas universelle. Dans l’Égypte ancienne, les chats, quelle que soit leur couleur, étaient vénérés. Au Japon, les chats noirs sont traditionnellement considérés comme portant bonheur.

Pourquoi la nuit est-elle noire ?

Si le nombre d’étoiles est infini, leurs lumières en se superposant les unes aux autres devraient maintenir la lumière même lorsque notre soleil est couché. De même que quand on est en lisière d’une forêt dense, les arbres de la lisière se superposent à ceux qui sont derrière. On ne voit pas ce qu’il y a derrière la forêt et on ne peut pas deviner son étendue.
Alors pourquoi la nuit est elle noire ?
Ce paradoxe a été étudié par Kepler au tout début du XVII° siècle et il en concluait que puisqu’il faisait noir la nuit, le nombre d’étoiles, et donc l’univers était fini.
C’est un poète, Edgar Allan Poe, et non pas un scientifique qui en 1848 formule l’hypothèse que nous ne voyons pas les étoiles dont la lumière n’a pas eu le temps de nous arriver. L’arrière-plan de l’univers nous est invisible. Ceci implique que les étoiles ne sont pas immortelles. Elles naissent et elles meurent. Et il faut attendre le XX° siècle et la découverte que l’univers est en expansion pour que l’on puisse dire (pour l’instant !) que s’il fait noir la nuit, c’est parce que les étoiles ont un âge fini, que la vitesse de la lumière est elle aussi finie, et que l’univers a un tempérament expansif. 

Nébuleuse de la tête de cheval
Nébuleuse de la tête de cheval

Ecouter l’interview de Michel Pastoureau sur cette couleur sur radiofrance

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