Les couleurs c’est toute une histoire ! Et chacune a la sienne. Nous voyons rouge, rions jaune, devenons verts de peur, bleus de colère ou blancs comme un linge. Les couleurs véhiculent des émotions, mais aussi des tabous, des préjugés qui influencent nos comportements, notre langage, notre imaginaire.
Cet article est le premier de la série consacrée à ce sujet. Retrouvez ceux consacrés à une couleur en particulier ici :
Histoire du bleu, celle d’un paradoxe
Histoire du vert, couleur ambivalente
Histoire du rouge, une couleur puissante
Histoire du noir, une vraie couleur
Histoire du blanc, couleur divine
Histoire du jaune le mal aimé
Histoire du rose, une demi-couleur
Les couleurs ont une histoire mouvementée qui raconte l’évolution des mentalités. La symbolique associée aux couleurs n’est pas la même en orient ou en occident, elle a changé au cours des siècles, en même temps qu’évoluaient également les capacités techniques à reproduire et à fixer les couleurs.
A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu : voyelles,
Je dirai quelque jour vos naissances latentes…
Arthur Rimbaud, Voyelles
C’est quoi une couleur ?
Définir ce qu’est une couleur est très complexe, il suffit d’observer la longueur de sa définition dans les dictionnaires pour s’en convaincre.
On peut en donner une définition physique, en disant qu’elle résulte de l’interaction entre la lumière, l’objet observé et notre système visuel, et en la caractérisant par sa longueur d’onde.
On peut expliquer comment physiologiquement, les cônes de notre rétine transmettent un signal à notre cerveau qui interpète ce signal.
Mais la couleur n’existe pas vraiment indépendamment de l’observateur. Un même objet peut apparaître différemment selon les conditions d’éclairage, l’angle de vue ou les caractéristiques individuelles de la vision.

les deux illusions d’optique ci contre illustrent comment l’environnement immédiat d’une couleur peut modifier considérablement notre perception. C’est la raison pour laquelle on conseille souvent aux photographes de regarder leurs photos sur différents fonds pour voir l’influence de celui-ci, surtout dans l’objectif d’une impression en grand format.
Pour l’artiste, la couleur est un langage à part entière, avec ses propres grammaires et syntaxes, profondément subjectives. La couleur possède également bien sûr des dimensions psychologiques et culturelles. Les entreprises sont très attentives à la symbolique des couleurs de leurs logos.
Une couleur peut évoquer des émotions, transmettre des informations, avoir une signification symbolique qui peut varier avec l’époque ou la région. Toutes les couleurs ont un versant émotionnel positif, et un négatif.

Orient, Occident, un symbolisme différent
La suite de cet article parle essentiellement de la perception et de l’histoire des couleurs en occident. Commençons par voir brièvement (très !, trop !) les différences majeures entre orient et occident à ce sujet.
Les principales différences de symbolique des couleurs entre l’Orient et l’Occident varient selon les régions et époques spécifiques. Cependant, on peut noter quelques grandes tendances. Celles-ci évoluent et la mondialisation tend à les uniformiser. Le contexte d’utilisation est crucial : une même couleur peut avoir différentes significations selon qu’elle est utilisée dans un contexte religieux, social ou commercial. Certaines associations modernes sont liées au développement industriel et à la publicité plutôt qu’aux traditions culturelles profondes.
Orient | Occident | |
Blanc | Deuil, mort, funérailles (particulièrement Chine, Japon, Corée) | Pureté, mariage, innocence, propreté les mariées occidentales portent du blanc alors que ce serait considéré comme de mauvais augure dans certaines cultures asiatiques traditionnelles. |
Rouge | Bonheur, prospérité, chance, célébration. En Chine c’est la couleur traditionnelle des mariages et des festivités du Nouvel An. | Danger, passion, amour, interdiction |
Jaune | Spiritualité (bouddhisme), sagesse, prestige. Le jaune était tellement sacré dans la Chine impériale que seul l’empereur pouvait porter des vêtements entièrement jaunes. | Lâcheté (historiquement), attention, optimisme, énergie, tromperie |
Vert | Le vert est particulièrement important dans la culture islamique, étant associé au Paradis et au Prophète Mohammed. | Nature, environnement, permission, espoir, diable, poison |
Noir | Neutralité, mystère | Deuil, mort, élégance |
La couleur a disparu de notre quotidien
La grèce antique, la Rome antique et l’Egypte étaient pleines de couleurs.
Les édifices, les statues, les tombes étaient décorés de couleurs parfois vives, pour démontrer la puissance des commanditaires et réjouir les dieux. Les vêtements les plus prisés étaient également ornés de motifs polychromes, produits par l’art expert de la teinture et du tissage.
Sous diverses influences, notamment religieuses, certaines époques ont été très colorées, d’autres beaucoup moins. Pendant longtemps chez les artistes le dessin a la primauté sur la couleur. Ce débat se retrouve entre Ingres et Delacroix par exemple.
Quand on regarde autour de soi en occident aujourd’hui, on voit une dominance des tons neutres et froids : gris, blanc, beige, noir, bleu marine, marron. C’est vrai dans l’architecture, le design, les voitures, les vêtements, les objets du quotidien, du grille pain aux ordinateurs. Et moins on voit de couleurs autour de soi, moins on a envie d’en mettre, pour ne pas faire de faute de goût, ne pas se faire remarquer.
Cette vidéo de Jean-Gabriel Causse explore ce sujet, nombreux exemples à l’appui.
Ces changements sont assez récents. Dans les années 70 par exemple, la majorité des voitures étaient de couleurs vives, alors qu’aujourd’hui elles sont peintes de couleurs neutres.
Mais c’est peut être en train de changer. A suivre !

Michel Pastoureau, l’historien des couleurs
L’histoire des couleurs et de leur symbolique doit beaucoup aux recherches de Michel Pastoureau et la suite de cet article est largement inspirée de ses travaux.
Pendant longtemps, la documentation pour les historiens, y compris ceux de l’histoire de l’art, était uniquement en noir et blanc et la couleur a été très peu étudiée. Michel Pastoureau a été un pionnier dans ce domaine qu’il continue d’explorer.
Né en 1947 à Paris, il est directeur d’études émérite à l’École Pratique des Hautes Etudes (EPHE) où il a occupé la chaire d’histoire de la symbolique occidentale. Il est considéré comme l’un des plus grands spécialistes mondiaux de l’histoire des couleurs.
Ses travaux les plus connus portent sur l’histoire culturelle des couleurs en Occident, l’héraldique et les armoiries médiévales, la symbolique des couleurs, l’histoire des rayures et des motifs.
Il a publié chez Seuil dans la collection Points, de nombreux livres sur ces sujets, notamment une série « histoire d’une couleur » déclinée à ce jour (fin 2024) en 7 ouvrages : Bleu, Vert, Noir, Rouge, Jaune, Blanc et récemment Rose.
Il a beaucoup étudié la perception et la symbolique des couleurs et montré que ce sont des constructions culturelles qui ont fortement évolué au fil du temps.
Son approche combine l’histoire de l’art, l’anthropologie et l’histoire sociale, ce qui en fait un chercheur particulièrement original dans le paysage universitaire français.
Impossible de lister ici la liste de ses ouvrages que l’on peut acheter par exemple à la Fnac.
On trouve beaucoup d’interview de Michel Pastoureau sur le net. Ces 16 épisodes de la série « A voix nue » de France culture sont particulièrement intéressants.

Nommer les couleurs
Il y a de multiples nuances de bleu, de rouge, de rose… et souvent des mots multiples pour les décrire. Cependant, sur le plan symbolique ces nuances sont secondaires, la notion de « couleur pure » n’existe pas. Quand on nous parle d’une couleur ou qu’on lit son nom, ce qui est essentiel c’est la représentation, l’idée que nous nous en faisons, pas sa nuance. On n’a pas besoin de la voir. Des études récentes montrent qu’un non voyant de naissance parvenu à l’âge adulte a pratiquement la même culture des couleurs qu’un voyant.
La couleur est donc d’abord une catégorie mentale et dans toute société, une des premières fonctions de la couleur c’est de classer, de hiérarchiser.
Tous les peuples ne classent pas les couleurs de la même façon. La perception et la catégorisation des couleurs varient selon les cultures, les langues et les contextes historiques.
Certaines langues n’ont que deux termes pour désigner les couleurs, souvent des concepts équivalents à « clair » (incluant le blanc et les couleurs brillantes) et « foncé » (incluant le noir et les teintes sombres). D’autres langues en ont trois ou quatre, ajoutant généralement une distinction pour le rouge ou le jaune. En japonais traditionnel, mais également dans certaines langues africaines ou océaniennes, le bleu et le vert n’étaient pas distingués. La nécessité de distinguer et donc de nommer les couleurs a augmenté avec des activités comme la teinture, la peinture, la mode et la chimie. Nous ne voyons pas tous les mêmes nuances. Les personnes les plus performantes peuvent distinguer entre 200 et 300 nuances de couleurs, que souvent la langue ne peut pas nommer.
Dans l’Antiquité et au Moyen Âge, les couleurs étaient principalement classées selon leur luminosité plutôt que leur teinte. Les philosophes grecs, notamment Aristote, considéraient que toutes les couleurs provenaient du mélange du blanc et du noir. Cette conception s’est maintenue pendant des siècles, avec une organisation souvent liée aux quatre éléments (terre, eau, air, feu) et aux qualités qu’on leur attribuait (chaud, froid, sec, humide).
Aujourd’hui le bleu est associé à l’eau et au froid alors que jusqu’à la renaissance et même jusqu’au XVIII° le bleu est une couleur chaude et le jaune une couleur froide.
On se trompe sur les intentions d’un artiste du XV° si on utilise notre classification actuelle pour analyser les couleurs qu’il utilise.
En 1666, en utilisant un prisme, Newton démontre que la lumière blanche contient toutes les couleurs du spectre. Il propose alors une organisation circulaire des couleurs, ancêtre de notre cercle chromatique moderne. Il a identifié sept couleurs principales dans le spectre (rouge, orange, jaune, vert, bleu, indigo, violet), choix influencé par une volonté d’établir une analogie avec les sept notes de la gamme musicale. Cette découverte a progressivement conduit à une compréhension plus scientifique des couleurs, basée sur leurs propriétés physiques (longueur d’onde) plutôt que sur leur symbolisme. Les théories modernes de la couleur, développées notamment par Young, Helmholtz et Maxwell au XIXe siècle, ont établi que trois couleurs primaires suffisaient pour créer toutes les autres, ouvrant la voie à notre compréhension actuelle de la synthèse additive et soustractive des couleurs. Cette évolution dans la classification des couleurs reflète le passage d’une conception qualitative et symbolique à une approche quantitative et scientifique, tout en conservant certains aspects culturels dans notre perception quotidienne des couleurs. La façon dont on a ordonné les couleurs, sur un axe puis sur des roues est présentée plus en détail dans cet article.

Depuis 1890 on dispose d’enquêtes d’opinion sur le goût des couleurs. Et depuis cette date, dans tout l’occident, le classement n’a pas changé : la couleur préférée est toujours le bleu, pas de différence entre homme et femmes, peu de différences entre les classes sociales. 50% des personnes déclarent avoir le bleu comme couleur préférée devant le vert ( 15-20%) puis le rouge (10-12%), le noir (environ 10%) le jaune et le blanc et le trio de queue c’est toujours le violet, le rose, et le brun.
Dans les articles suivants, j’ai tenté de résumer ce que Michel Pastoureau dit de ces couleurs :
Histoire du bleu, celle d’un paradoxe
Histoire du vert, couleur ambivalente
Histoire du rouge, une couleur puissante
Histoire du noir, une vraie couleur
Histoire du blanc, couleur divine
Histoire du jaune le mal aimé
Histoire du rose, une demi-couleur