Faut-il calibrer son boîtier ? Et quel profil faut-il utiliser : ce profil calibré ou le profil linéaire ?
Pour qu’une photo soit la plus fidèle possible à la scène originale, il est nécessaire que toute la chaine de traitement de l’image soit parfaitement calibrée, à commencer par le boîtier.
Que signifie calibrer un boitier ?
On ne parle pas ici de la correction des aberrations chromatiques ou géométriques liées à l’optique, mais de déviations dans le rendu des couleurs. Un calibrage du boîtier est réalisé par les fabricants en usine mais celui-ci est fait pour un type de boîtier, pas pour chaque boîtier individuellement, ce qui serait bien trop onéreux. Or chaque boîtier a ses propres défauts qu’il convient d’identifier et de corriger. Par exemple, un boîtier Nikon D850 pourrait tirer un peu sur le magenta dans les bleus tandis qu’un autre D850 pourrait au contraire tirer un peu sur le jaune dans les verts.
Qui dit calibration dit outil de référence. On utilise pour cela des chartes comportant des carrés de couleurs et de nuances de gris parfaitement calibrés en teinte saturation et luminosité. Cette charte est photographiée, obligatoirement en mode raw, et un logiciel compare la couleur attendue pour un carré donné à celle observée sur le cliché de la charte. Ceci permet d’établir une table de correspondance qui décrit dans un fichier numérique les défauts du boitier et les corrections à apporter pour rétablir les bonnes couleurs . Ce profil colorimétrique doit être lu ensuite par le logiciel qui effectue le dématriçage (ou dérawtisation).
Il y a deux types de normes pour ces profils :
– la norme ICC qui nécessite d’établir un profil par illuminant, et qui est donc difficilement utilisable en extérieur. Mais lorsque le respect des couleurs est primordial, par exemple lorsqu’on photographie un tableau, ou dans le monde de la mode ou de la publicité, on effectue ce calibrage à chaque prise de vue, de façon à ce que la charte de couleur soit exposée exactement dans les mêmes conditions de lumière que l’objet ou la scène à photographier.
– la norme dcp inventée par Adobe, plus facile à utiliser. Un profil à la norme dcp est établi en photographiant la charte à la lumière du jour puis en lumière artificielle (2780 K). Le profil établi est utilisable entre ces deux valeurs. Ce profil dcp n’est pas, ou à peine, sensible à une variation de température de couleur, même importante, à la condition que la mire ait été photographiée sous deux illuminants en lumière continue. En revanche, il faut établir un profil distinct quand on utilise des lumières particulières de type néon.
Camera raw et Lightroom n’acceptent que la norme dcp. DXO et capture one n’acceptent que la norme ICC, sauf depuis la version 6 de DXO qui accepte maintenant la norme dcp.
Pour établir ces profils, ICC ou dcp, les deux chartes de référence sont chacune exploitées avec leur logiciel dédié. Arnaud Frich les a testées sur son excellent site : Calibrite ColorChecker Passport
Datacolor Spyder Checkr Photo
Arnaud détaille également sur son site pour chacune de ces deux chartes le protocole à suivre pour créer le profil correspondant au boitier calibré.
A partir de ce profil (ou à partir du profil Adobe standard, mais c’est moins bien) on peut établir un profil linéaire pour son boitier.
Profil linéaire
Quand on prend une photo, le capteur transforme un signal lumineux en un signal électrique qui est écrit dans le fichier raw sous forme numérique.
Quand le raw est ouvert dans un logiciel qui effectue le dématriçage comme lightroom, camera raw, DXO, capture one… cette donnée numérique est traduite en valeurs de teinte, saturation, luminosité pour créer l’image.

Avec un profil linéaire, la luminosité affichée est directement proportionnelle à l’intensité du signal lumineux initial (schématiquement, les puristes me pardonneront une petite approximation 😊). C’est ce que représente la droite en noir ci contre.
AUCUN des autres profils utilisés pour traduire le fichier numérique en image n’est linéaire : que ce soit celui qu’on a établi pour calibrer le boîtier ou les profils par défaut d’Adobe (adobe couleur, paysage, portrait….) tous appliquent une courbe qui ressemble à la courbe en rouge ci-contre : la luminosité et la saturation des tons intermédiaires est boostée, les tons sombres sont éclaircis et contrastés et les hautes lumières sont de ce fait « tassées » : quand la luminosité double à la prise de vue et donc dans le fichier raw, la valeur affichée ne double plus, la différence de nuances entre deux points pourtant différents s’estompe.
Nous verrons plus loin l’intérêt de ces deux types de profils et quand les utiliser.
Pour créer le profil linéaire, il faut utiliser un petit programme gratuit d’adobe : Adobe DNG profile editor. Olivier Rocq explique en détail sur son site comment générer soi-même ce profil et offre des profils linéaires déjà générés pour une centaine de boîtiers différents. Si le votre ne s’y trouve pas vous pouvez lui envoyer une photo exportée au format DNG et il vous enverra généreusement le profil linéaire correspondant 😊.
Les profils ainsi générés ou récupérés doivent être installés sur votre ordinateur pour être disponible dans Camera raw et dans Lightroom. Il faut pour cela les placer dans ce dossier :
Mac : Macintosh HD > Utilisateurs > « votrenom » > Bibliothèque > Application Support > Adobe > CameraRaw > CameraProfiles
PC : C: > Utilisateurs > « votrenom » > AppData > Roaming > Adobe > CameraRaw > CameraProfiles
Il faut ensuite redémarrer Lightroom et Photoshop.
Ces profils apparaissent alors dans la fenêtre de développement de lightroom ou de camera raw comme ceux d’Adobe lorsqu’on ouvre un raw.
Remarque : quand la photo sélectionnée n’est pas un raw mais un jpeg, un psd, un tif, un hiec, un png…. bref tout autre format qu’un dng ou un raw propriétaire d’une marque (CR2, CR3, NEF, RAF….) ce menu contient deux choix seulement : « couleur » et « monochrome ».

Dans l’image ci-dessus, on voit deux autres profils : Fuji X-T4 et linear profile. Ce sont deux profils spécifiques au boitier qui a pris la photo affichée dans LR ou CR. Si la photo affichée a été prise par un autre boitier, ces profils ne seront pas disponibles.
On peut tout à fait établir un profil calibré et un profil linéaire pour chacun de ses boitiers si on en a plusieurs. Lightroom (CR) reconnait le boitier et affiche les profils correspondants, y compris le profil linéaire (même si il ne change pas de nom ce qui n’est pas très pratique).
A quoi servent ces profils et pour quoi les utiliser ?
Comme nos yeux, les capteurs de nos boitiers convertissent un signal lumineux en signal électrique. Les capteurs enregistrent ce signal lumineux de façon linéaire : quand la luminosité double la valeur enregistrée sur le raw double, le gamma est de 1. Mais notre vision s’ajuste en fonction de la luminosité ambiante et nous voyons plus de nuances dans les ombres. Le gamma de notre œil est proche de 2.2.

Le profil du boitier permet de corriger cette « différence de gamma » entre le capteur et nos yeux. Pour qu’on voie plus de nuances dans les ombres, les tons intermédiaires sont boostés comme illustré plus haut, le contraste est augmenté de même que la saturation.
La charte ci-contre a été photographiée pour établir le profil du boitier (ici un fuji XT4). Si j’affiche dans LR ou PS le raw qui a servi pour établir ce profil et que j’applique le profil du boitier, sans effectuer le moindre réglage, les couleurs qui s’affichent sur mon écran (calibré !) sont très très proches de celles de la charte si je la mets à côté.

Le profil du boitier est donc celui que par défaut il faut utiliser pour traiter ses photos.

Le profil linéaire n’applique pas de modification à ce qui a été enregistré par le capteur. La « traduction » du raw faite par le profil linéaire affiche une image qui peut être assez éloignée de ce que nous avons vu sur le terrain : l’image est terne, les couleurs sont assez fades. Ci contre, c’est le même raw que ci-dessus mais avec le profil linéaire, la différence est flagrante et on la voit également sur l’histogramme. Ce profil linéaire a été établi en partant du profil calibré du boitier. Cela corrige les défauts du capteur qui par exemple aurait une tendance à accentuer les magentas, mais la photo ci-contre montre bien que le profil linéaire obtenu n’est pas un profil « hybride » qui aurait en même temps tous les avantages du profil linéaire (récupération des hautes lumières) et tous ceux du profil calibré (fidélité des couleurs).

Comparons maintenant les valeurs de luminosité (mode L*a*b*) du noir, du gris moyen et du blanc. Avec le profil du boitier, ces valeurs sont respectivement de 25, 66 et 95%, tandis qu’avec le profil linéaire, elles sont de 22, 50 et 85%. Autrement dit, avec le profil linéaire j’aurais pu exposer d’avantage la charte et avoir encore des nuances de blanc alors qu’avec le profil du boitier, une expo plus longue aurait saturé le signal. C’est la conséquence de la courbe qui est appliquée avec le profil de boitier : les valeurs intermédiaires sont boostées, le gris moyen n’est plus à 50% mais à 66%, on distingue mieux les différences de gris dans les tons sombres, mais on perd des nuances dans les très hautes lumières.
Ce qu’il faut retenir c’est qu’avec le même raw, sans aucun autre réglage, on peut générer les deux images ci-dessus.
Mais alors, à quoi sert le profil linéaire ?
Quand on a une photo avec beaucoup d’informations dans les hautes lumières, avec le profil du boitier il peut être compliqué de toutes les récupérer. Dans la photo ci-contre, l’histogramme montre qu’avec le profil du boitier il y a dans le ciel des zones en apparences cramées : il y a un pic collé sur la droite et beaucoup de valeurs proches de ce pic.

Si on change simplement le profil pour appliquer le profil linéaire, sans rien faire d’autre, on récupère beaucoup de nuances dans le ciel et le pic de droite n’est pas collé contre le bord droit de l’histogramme. C’est un des problèmes des histogrammes dans LR, CR ou PS : il ne montrent pas ce qui est présent dans le raw mais dans l’image affichée à l’écran. On peut donc parfois avoir l’impression qu’il y a des zones complètement brulées ou bouchées alors qu’en réalité dans le raw il y a des informations, des nuances dans ces zones.

Et les profils par défaut d’Adobe ?
On n’a pas toujours la possibilité d’établir un profil pour son boîtier. C’est notamment le cas si on veut traiter des photos qui ont été prises par un boîtier que l’on a plus. Dans ces cas, on peut tout à fait utiliser un des profils par défaut d’adobe. Comme les profils calibrés (non linéaires), les profils d’adobe appliquent une courbe qui booste les tons moyens mais réduit les nuances dans les très hautes lumières. Les différents profils disponibles ajoutent plus ou moins de contraste et de saturation pour s’adapter à différents styles de photo. On peut aussi parfaitement utiliser ces profils, même quand on dispose du profil calibré pour son boîtier 😉 si ce point de départ du développement convient mieux à ce qu’on a en tête.
Peut-on créer un profil unique pour son boitier, qui calibre les couleurs ET qui soit linéaire ?
Comme on le voit dans le graphique plus haut, ces deux profils sont très différents et il n’est pas possible de les combiner. Mathématiquement, appliquer une courbe sur une droite ne peut pas donner une droite. Le profil du boîtier, calibré pour les couleurs est justement fait pour NE PAS être linéaire pour restituer les couleurs telles que nous les voyons car nos yeux ne voient pas les choses de façon linéaire.
De plus, la luminosité influençant la saturation des couleurs la correction apportée ne pourrait pas être la même, en particulier dans les hautes lumières.
En réalité, le profil linéaire devrait être réservé aux situations (studio notamment) où il n’y a qu’un seul illuminant, continu, même si on peut effectivement s’en servir pour récupérer des hautes lumières qui seraient autrement cramées. Mais il ne faut pas penser qu’on respecte les couleurs dans ce cas.
Alors certes, si on prend en photo un tableau et qu’on veut le reproduire au mieux, c’est une aide de photographier en même temps la charte de couleur dans les mêmes conditions d’éclairage mais ça ne garantit pas pour autant une fidélité parfaite. Le seul boitier qui à ce jour respecte les couleurs c’est l’Hasselblad 709x. Tous les autres boitiers ont des profils intégrés qui interprètent plus ou moins les couleurs. Il est intéressant de savoir que ces profils, pour un même boîtier d’une même marque, diffèrent suivant que le boîtier est vendu en Europe, en Asie ou en Amérique. Les goûts pour les couleurs sont modifiés par notre physiologie (les femmes ne voient pas exactement les couleurs de la même façon que les hommes par exemple, sans parler de l’âge ou d’autres critères) mais aussi par notre culture, ce que les fabricants de boîtiers connaissent bien.
La calibration du boîtier est supposée justement effacer ces profils intégrés pour revenir à des valeurs « vraies ».
Mais… si on calibre son boitier avec 2 chartes différentes, on obtient… deux profils différents. Y en a-t-il un de bon ? La réponse est non. Tel profil sera plus juste sur les rouges et moins sur les bleus, pour un autre ce sera l’inverse.
Alors ? A quoi sert cette page ? Pourquoi calibrer son boitier ?
En conclusion, disposer d’un profil de calibration couleur de son boitier c’est un outil de plus dans sa trousse. Cela permet de partir d’une base plus neutre que celle des profils d’Adobe. Mais on peut s’en passer, surtout si on fait essentiellement de la photo de paysage, de portrait artistique. C’est différent si on a besoin de produire des photos de mode, de cuisine ou autres sujets pour lesquels la couleur est essentielle et se doit d’être la plus fidèle possible à la réalité. Quant au profil linéaire il est utile on l’a vu pour récupérer des hautes lumières, surtout quand on a omis de faire un bracketing d’exposition.
Quand on fait des photos dans l’idée de retranscrire une émotion, ce qui compte ce n’est pas tant la fidélité des couleurs par rapport à une charte que d’arriver à trouver une harmonie qui soit fidèle à ce qu’on a ressenti ou à ce que l’on veut transmettre.
En revanche, il est ESSENTIEL de travailler sur un écran calibré et d’imprimer sur une imprimante calibrée si l’on veut que son travail de développement de la photo donne à la fin un résultat conforme à ce que l’in voyait sur l’écran et qui nous PLAIT 🙂
Un GRAND merci à Arnaud Frich pour ses explications sur son blog et par téléphone sur ce sujet complexe !