L’histoire du vert associe cette couleur à la vie, à la chance et à l’espérance, mais c’est la couleur du poison, du malheur et du Diable.
Cet article fait partie de la série « les couleurs, toute une histoire » à laquelle appartiennent également les articles suivants :
Histoire du bleu, celle d’un paradoxe
Histoire du rouge, une couleur puissante
Histoire du noir, une vraie couleur
Histoire du blanc, couleur divine
Histoire du jaune le mal aimé
Histoire du rose, une demi-couleur
L’histoire du vert est celle d’une couleur difficile à stabiliser
Il n’y a pas de vert dans les peintures du paléolithique, faute de pigments. Pendant longtemps, on ne savait pas fixer la couleur verte et il était difficile d’obtenir des pigments qui soient stables dans la durée et qui ne changent pas en fonction du support. Les pigments végétaux sont peu efficaces et les pigments préparés à partir du vert de gris, qui se forme sur le cuivre exposé à l’oxygène, sont toxiques.
La couleur verte a été ainsi associée à ce qui est instable comme l’enfance, l’amour, la chance, l’espérance, le hasard, le jeu.
Le vert a mauvaise réputation. C’est une couleur inquiétante à laquelle on ne peut pas se fier. Le verdatre est par excellence la couleur qui fait peur. Beaucoup de tricheurs de menteurs ont été associés à cette couleur. Judas est doté souvent d’une chevelure rousse et d’un vêtement vert et jaune. Satan peut se revertir de vert parce qu’il se déguise et qu’il veut tromper.
Dans les maisons romaines on trouve du vert, notamment dans des trompe l’oeil représentant le monde végétal. Mais fabriquer la couleur verte et la porter sur soi n’est pas bien vu, c’est une couleur barbare, trop voyante. Les grecs n’ont pas de mot pour la couleur verte.
Les yeux verts ou bleus, fréquents chez les peuples nordiques ou germains, c’est barbare, signe de mauvaise vie dans la Rome antique.
Mahommet semble avoir eu un gout personnel pour le vert. Après sa mort, le vert devient la couleur dynastique de ses descendants, qui s’oppose aux noirs et blancs d’autres dynasties. Le vert ne devient une couleur fédératrice de l’Islam, une couleur sacrée et religieuse, qu’à l’époque des croisades. C’est la couleur du paradis. On ne met pas de vert sur les tapis de laine pour ne pas le piétiner. Le vert est présent sur de nombreux drapeaux et symboles de pays musulmans.

Au premier moyen-Age, le vert est assez discret, puis il devient admiré, recherché par les poètes et les artistes. C’est la couleur de la beauté, de l’espérance. Mais cela ne dure pas, et à la fin du moyen-âge le vert devient la couleur du Diable, des dragons, des sorcières qui ont des yeux et des dents verts. Il devient associé à la luxure à la débauche.
Le vert est assez rare en héraldique.

Dès la fin du Moyen-âge, malgré les interdictions de la profession, des teinturiers mélangent du jaune et du bleu pour faire du vert, ce que les Germains savaient faire depuis longtemps.
Lorsqu’en 1666 Newton définit un nouvel ordre des couleurs, le vert se retrouve au milieu de l’axe, proche du bleu et du jaune. Cela facilite l’idée de mélanger le bleu et le jaune pour faire du vert.
Mais encore au milieu du XVIII°, alors qu’il était difficile et cher d’obtenir des pigments verts de bonne qualité, des peintres se scandalisent que des collègues mélangent du bleu et du jaune pour faire du vert.Pendant très longtemps, le vert n’était pas considéré comme une couleur pure, importante. A partir du XVII° siècle, on distingue des couleurs primaires et des couleurs de second ordre dont le vert. Cette classification c’est une simple convention au départ. Cela ne devient une théorie de scientifiques qu’au XIX°. Cette classification a le défaut de ne pas tenir compte des pratiques socio culturelles de la couleur qui mettent le vert au même rang que le bleu le rouge et le jaune.
A la fin du XVIII° siècle et au début du XIX°, des chimistes découvrent l’intérêt des sels d’arsenic pour obtenir un vert beaucoup plus saturé. On obtient notamment le vert de Paris, qui devient très à la mode. On l’utilise en peinture mais aussi dans les papiers peints, les vêtements et même pour colorer les jouets des enfants et les desserts en gelée ! Plusieurs cas d’intoxication, voire de décès, ont été liés à ces pigments verts très toxiques, peu à peu remplacés par des alternatives non toxiques. On soupçonne aujourd’hui que l’état de santé de certains grands peintres comme Cézanne ou Van Gogh a pu être aggravé par une exposition prolongée à ce vert de Paris.
Le style empire est dominé par le vert, une couleur prisée par Napoléon. A Sainte Hélène il avait fait refaire toute la décoration en vert. Officiellement, il est mort d’un cancer de l’estomac, mais son corps présentait aussi des traces d’arsenic qui pourraient bien provenir de cette décoration.
Symbolique associée au vert
Dans sa dimension positive, le vert incarne la nature, la jeunesse, le renouveau de la nature. Opposé au rouge, le vert est associé à la permission. Donner le feu vert.
Cette symbolique s’étend au domaine spirituel, où le vert représente l’espoir et la régénération. Dans la tradition chrétienne, le vert est d’ailleurs la couleur liturgique du temps ordinaire, symbolisant la vie et l’espérance.
Le vert évoque aussi l’équilibre et l’harmonie. Située au centre du spectre visible, cette couleur est perçue comme apaisante pour l’œil humain. Elle est associée à un sentiment de calme et de bien-être, ce qui explique son utilisation fréquente dans les espaces de détente et les établissements de santé.
Le vert est associé à la science. La croix verte des pharmacies (en France tout au moins, car en Italie elles sont rouges), rappelle l’héritage des apothicaireries du XVIII -XIX° siècle dont la pharmacopée était à base de plantes. Par extension cette couleur a été associée aux médecins et plus généralement aux savants. Les membres de l’académie des belles lettres, des sciences, des beaux arts ou de celle des sciences morales et politiques portent l’habit qu’on dit vert par association avec le symbole du savoir, même si cet habit vert est en fait noir avec des parements verts et or.

Le vert est également le symbole d’un enjeu. Que ce soit dans le sport, dans l’entreprise ou dans les réunions internationales, une surface verte, un tapis vert, une table verte porte le symbolisme de l’enjeu de la partie, de la discussion.
Aujourd’hui le vert est la couleur des écologistes. Il y a presque une confiscation de cette couleur par l’écologie, comme le rouge a été confisqué par le communisme
Pour ce qui est des émotions négatives, le vert présente plusieurs associations troublantes. La plus notable est son lien avec la jalousie et l’envie. Cette association pourrait venir de l’idée que la jalousie, comme la maladie, donne un teint verdâtre, souvent signe de nausée ou de malaise. Dans certains contextes, le vert est associé à l’immaturité et l’inexpérience. Il peut aussi symboliser la naïveté ou le manque de raffinement. Le vert peut aussi évoquer la maladie elle-même, la décomposition et la putréfaction. Cette connotation négative s’étend à l’idée de poison.
Dans un registre plus contemporain, le vert peut être associé à l’argent et à la cupidité, notamment dans la culture américaine où le dollar est familièrement appelé « green ».
Dans le monde du théâtre, encore aujourd’hui, on ne porte pas de vert. C’est un tabou déjà documenté au début du XVII°, à l’époque de Shakespeare. Le vert portait malheur aux comédiens. Le rôle des acteurs était distingué par la couleur de leurs habits. Et comme teindre en vert était difficile, les habits des comédiens habillés en vert étaient peints, et non teints, et on le faisait avec du vert de gris qui est toxique. Sans doute y a-t-il eu des accidents. La légende dit que Molière est mort vêtu de vert. Alceste dans le Misanthrope porte un habit orné de rubans verts, ce qui est vécu comme ridicule et dépassé à l’époque. Don Quichotte porte aussi des rubans verts.
Les mots du vert
Se mettre au vert; Avoir la main verte ; Des vertes et des pas mûres ; Être encore vert pour son âge ; donner le feu vert ; Recevoir une volée de bois vert
Ecouter l’interview de Michel Pastoureau sur cette couleur sur radiofrance