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Histoire du jaune le mal aimé

Un soleil, une lumière que faute de mieux, je ne peux appeler que jaune. Jaune soufre pâle. Citron pâle or. Que c’est beau le jour.
Van Gogh, 1888.

Une histoire ancienne

Le jaune est des premiers pigments fabriqués par l’être humain, avec le rouge et avec le noir. La palette des grottes du paléolithique est restreinte : pas de bleus, pas de vert, très peu de blancs. Des rouges, des noirs et un peu de jaune, qui est à base d’ocre.
L’homme a peint bien avant de teindre. Il a commencé à teindre vers le 5° ou 6° millénaire avant notre ère, en rouge et en jaune.

Un très grand nombre de plantes ordinaires, comme le genêt, l’ortie, la fougère, l’oignon, permettent de teindre en jaune, mais un jaune qui entre mal dans les tissus. Le Safran, plus rare et beaucoup plus cher, permet d’obtenir une très belle teinture jaune. Dès l’antiquité, c’est réservé aux étoffes précieuses, aux vêtements des classes les plus favorisées.

la couleur jaune a été définie dans l’antiquité de manière très variée. Aussi bien en grec ancien qu’en latin, il n’y a pas de terme de base pour dire jaune. C’est donc un terme germanique qui s’est imposé : le gelb allemand. Il a donné tardivement en latin galbus puis galbinus qui signifie « vert jaunâtre ». Ce mot a ensuite évolué en « jaune » en vieux français pour désigner la couleur que nous connaissons aujourd’hui.

épices jaunes
épices jaunes
Jason rapportant la toison d'or à Pélias
Jason rapportant la toison d’or à Pélias

Dans les récits mythologiques les plus anciens, et dans la bible, on parle beaucoup d’or et de métaux précieux, peu de couleur. Le problème est de savoir si ce qui vaut pour l’or vaut ou non pour le jaune. L’or est plutôt une matière, une lumière qu’une couleur. A l’époque préhistorique, l’or n’est pas présent dans les tombes. Il le devient au néolithique, et il prend une place considérable à partir du troisième millénaire avant notre ère. L’or est offert aux dieux, il accompagne les défunts pour leur dernier voyage. Il est très présent dans les grands récits mythologiques comme la conquête de la toison d’or ou les pommes d’or du jardin des Hespérides, le 11° des travaux d’Hercules.

La bible est assez peu riche de couleurs en général. Dans les versions les plus anciennes il n’y a pas du tout de jaune. La traduction latine en ajoute un petit peu, et les traductions en langues vernaculaires modernes encore un peu plus. Mais si on relève toutes les occurrences de couleurs, rouge, blanc et noir occupent 95% des citations de couleurs.

Dans la Rome antique le jaune est plutôt féminin. Les femmes de la bonne société portent des robes jaunes, et quand les pamphlets veulent désigner les efféminés on les habille en jaune. Les matrones romaines de la fin de l’empire se teignaient ou portaient des perruques pour éclaircir leur chevelure.

A l’époque féodale, au XII°, XIII° siècle, le jaune est plutôt valorisé, les cheveux longs, blonds sont les beaux cheveux. Un chevalier jaune, c’est-à-dire habillé entièrement de jaune, avec des armoiries, une bannière jaunes, c’est un personnage de haut rang et, en général, un personnage âgé.
Le jaune devient une couleur péjorative à la fin du XIII° siècle et surtout au XIV° et XV° siècle. C’est comme si l’or prenait sur lui tous les bons aspects du jaune et ne lui laissait que les mauvais. Dans le jaune, on voit des humeurs négatives, l’urine, la bile, associées évidemment à des choses pas très réjouissantes. Ça peut expliquer ce discrédit de la couleur jaune.

Symbolisme du jaune

La couleur jaune possède une riche symbolique qui varie selon les cultures et les contextes et qui comme pour toutes les couleurs est ambivalente. En Occident, elle évoque principalement :
– La lumière et l’énergie solaire, ce qui en fait un symbole naturel de vie, de chaleur et d’optimisme. Cette association au soleil lui confère une dimension spirituelle et divine dans de nombreuses cultures.
– La joie et le bonheur : Le jaune est souvent considéré comme une couleur stimulante qui éveille des émotions positives. Son intensité lumineuse est associée à la bonne humeur et à la vitalité.
– La connaissance et l’intellect : historiquement, le jaune est lié aux activités intellectuelles, il symbolise la clarté d’esprit, la sagesse et l’illumination mentale.

La couleur jaune est bien plus valorisée, et fréquente, en Asie qu’en occident. Dans la culture chinoise, le jaune était la couleur impériale, symbole de pouvoir et d’autorité. Seul l’empereur pouvait porter des vêtements entièrement jaunes. En chinois le jaune s’écrit en combinant deux caractères, dont l’un signifie lumière, lumineux, et l’autre signifie les champs cultivés. Il n’est fait aucune référence, ni à l’or, ni au soleil. L’or n’est pas très valorisé dans la pensée chinoise, contrairement au bronze. Quant au soleil, il est rouge quand il se lève, blanc quand il se couche, mais pas jaune. Pendant la révolution culturelle, on a chanté Mao comme étant le grand soleil rouge se levant à l’est.

A notre époque le jaune aura été un symbole des plus sinistre, celui de l’étoile jaune imposée aux juifs. On peut en trouver des racines dans certaines pratiques de la fin du moyen-âge : à la fin de son règne Saint-Louis impose aux juifs de porter une rouelle de couleur jaune bien visible pour qu’ils se distinguent des chrétiens et cela se pratique également, surtout en milieu urbain, en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en Espagne.
Les nazis ont également repris une pratique qui a existé à différentes époques consistant à peindre en jaune les portes et les fenêtres de juifs. Cela s’est également utilisé pour identifier les maisons des traitres. Par exemple, le connétable de Bourbon à l’époque de François Premier et l’amiral de Coligny lors des massacres de la Saint-Barthélemy ont vu leur hôtel peint en jaune, couleur infamante.
Le jaune est aussi la couleur des maris cocus, au théâtre notamment.

Au début de l’époque moderne, le mauvais jaune l’emporte sur le bon jaune, même si celui ne disparait pas pour autant. Il y a deux agents de promotion de la couleur jaune dans la seconde moitié du XIX° et la première du XX° :

D’abord, les peintres de plein air : Il y avait très peu de jaune dans la peinture occidentale depuis la renaissance. L’invention du tube de peinture en 1840, et surtout en 1850 du bouchon à vis pour le fermer permet d’emporter la couleur sur le terrain. Les impressionnistes et les post impressionnistes mettent alors plus de jaune que précédemment. Un peu plus tard Van Gogh et Gauguin seront deux immenses peintres des jaunes. Kandinsky, lui, est un ennemi du jaune et du vert.

Les sportifs sont d’autres agents de promotion de la couleur jaune. Sur les terrains on voit apparaître du jaune, du vert. Le maillot jaune est positif, le carton jaune, c’est négatif. L’expression maillot jaune est entrée dans la langue. Il est employé jusque dans les milieux bancaires, économiques.

Politiquement le jaune était délaissé en politique. En 2018-2019, le mouvement des gilets jaunes en France utilise cette couleur d’une part par commodité, les gilets jaunes (ou oranges) étant un accessoire obligatoire, présent dans toutes les voitures, mais aussi parce que politiquement le choix d’une couleur était restreint, les nuances ne comptant pas et les autres couleurs étant déjà prises.

Sacha Guitry, le cocu
Sacha Guitry, le cocu

Les mots du jaune

Les expressions autour du jaune sont à peu près toutes négatives.

Être jaune comme un coing ; faire des contes jaunes ; faire voir à quelqu’un son bec jaune, c’est lui faire comprendre qu’il s’est trompé, ou bien qu’il est novice et dit des bêtises.

Ecouter l’interview de Michel Pastoureau sur cette couleur sur radiofrance

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