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Diriger le regard : comment créer des photos qui retiennent l’attention

Quels sont les éléments qui retiennent notre attention sur une photo ? Comment les agencer entre eux ?

Aucune règle mathématique (règle des tiers, diagonales particulières, triangles, nombre d’or…) ne permet d’expliquer ce qui fait qu’une peinture, une photo, retient notre attention plus qu’une autre. Mais la façon dont notre cerveau traite l’information en général, et l’information visuelle en particulier, est riche d’enseignement.

Une bonne photo, c’est une photo sur laquelle on s’attarde. Cela veut dire avant tout qu’elle a un sujet identifiable, que celui-ci nous intéresse, qu’il déclenche une émotion, une réaction, quelle qu’elle soit, et qu’il n’y a pas d’élément qui nous fasse sortir de la photo et passer à autre chose.

De ma perception à la vôtre

De ma perception à la votre

Cette statue de Maillol, sur sa tombe dans le jardin de son atelier à Banyuls m’a émue. Entre ce que je vois et que mon cerveau interprète, la photo que j’ai en tête et celle que j’obtiens, des biais et des limites techniques s’interposent. Et c’est sans compter que chacun verra et interprétera ma photo à sa propre façon.

Mais on peut tout de même faciliter les choses pour le lecteur !

Nous avons vu dans un article précédent les premières étapes du schéma ci-dessus, celles de la perception visuelle. La hiérarchisation automatique des données visuelles par notre cerveau et leur organisation en patterns cohérents, même faux, influence de façon décisive la façon dont nous percevons notre environnement. C’est également le cas lorsque nous prenons ou que nous regardons une photo.

Mais il y a quelques contraintes supplémentaires en photo par rapport à la vision directe.
Une photo a des bords et un format qui la limitent. Elle est en 2 dimensions mais doit restituer la 3°. On ne peut pas tourner la tête pour voir ce qu’il y a autour, elle ne fait appel qu’à notre vue et pas aux autres sens qui complètent normalement la perception visuelle. Et pourtant on lui demande de restituer l’ambiance, l’émotion qu’on a ressentie en déclenchant. Sacré challenge !

Apprendre à regarder, à lire, et à composer une photo

Nous avons vu l’importance pour progresser d’analyser ses photos et celles des autres, y compris les photos ratées. Une partie importante de cette analyse repose sur l’identification des éléments qui participent à la composition de la photo.

Les graphistes, illustrateurs et dessinateurs de presse doivent faire passer un message fort et qui soit compris au premier regard. La thèse en français du graphiste canadien, d’origine polonaise, Tomasz Walenta intitulée « l’image qui parle » est passionnante. L’auteur y analyse comment fonctionne le langage visuel (signes, grammaire, syntaxe) et quels en sont les éléments fondamentaux, notamment le cadrage, la composition, le point focal, la couleur, la texture, le contraste…
Si certains aspects de sa thèse sont spécifiques du dessin, beaucoup s’appliquent aussi à la photographie.

Il y a énormément d’ouvrages consacrés à la composition en photo. Parmi ceux que j’apprécie particulièrement et que je recommande chaudement, j’en citerai ici trois :

  • Les ebooks sur la composition en photo de paysage de Mads Peter Iversen. Ils sont en anglais mais il y a très peu de texte et ils sont facilement compréhensibles. A noter qu’il y a une version courte gratuite. Sa chaîne You tube mérite largement d’être suivie.
  • L’oeil du photographe et l’art de la composition de Michael Freeman aux éditions Dunod (dans toutes les bonnes librairies). Une référence, traduit dans 27 langues.
  • Et les deux tomes de la grammaire de l’image de Philippe et Nathalie Body, en vente sur Amazon ou auprès de l’auteur.

Les livres de M. Freeman et de P. Body ont en commun de partir de la perception visuelle, notamment mais pas seulement de la psychologie de la forme ou Gestalt, pour identifier les éléments percutants ou au contraire distrayants dans une photo. Les deux ouvrages, qui sont je trouve très complémentaires, sont abondamment illustrés d’exemples et d’exercices ce qui les rend agréables à lire. A noter que si les trois auteurs cités évoquent les « règles mathématiques » de composition, c’est pour dire de les oublier, ce qui n’empêche certes pas de chercher des lignes directrices, ou des formes signifiantes.

Impossible en un article de résumer les enseignements de ces ebooks et livres (et de beaucoup d’autres !). Mais pour vous donner envie d’aller plus loin, voici quelques éléments de réflexion.

Le sujet, l’émotion

On peut regarder longtemps des photos avec de gros défauts pour autant qu’elles fassent appel à nos souvenirs, à nos émotions ou illustrent un sujet qui nous tient à coeur. Les défauts techniques ne sont donc pas rédhibitoires s’ils sont vraiment justifiés par les conditions de prise de vue et que l’intérêt du sujet les font passer au second plan. Mais l’absence de sujet, ça ne pardonne pas !

Philippe Body propose qu’on se pose une question quand on analyse une image : « c’est qui le patron dans cette image ? » J’aime beaucoup cette approche que je n’ai vue formulée comme ça nulle part ailleurs.
Le patron c’est celui qui doit « diriger l’image ». Les autres éléments doivent le servir. Il importe donc d’identifier ces autres éléments et de vérifier qu’ils ne détournent pas l’attention du patron mais au contraire qu’il contribuent à ce qu’on l’identifie comme tel et qu’on y « pause » notre attention.

On peut avoir déclenché devant un beau coucher de soleil parce qu’on ressentait une forte émotion mais ce n’est pas pour autant que la personne qui regarde la photo va la ressentir. Il faut l’aider pour cela en travaillant la composition, la lumière, les couleurs pour qu’elles soient au service du sujet, pas pour qu’elles deviennent le sujet. Plus facile à écrire qu’à faire !

Les éléments qui captent notre attention

Regard 1
Quel regard !

Ces deux photos ont été prises à quelques secondes d’intervalle. Elles n’ont pourtant pas le même impact. Pourquoi ?

Les travaux des psychologues montrent que notre cerveau est particulièrement attentif à certains éléments, qu’il identifie et traite immédiatement pour leur donner un sens (même faux !). On peut (à des fins de recherche !) les visualiser formellement avec des cartes de saillance. En soi, ils ne sont ni bon ni mauvais. C’est leur placement dans l’image, leur équilibre qui va déterminer s’ils sont au service du patron de l’image ou si au contraire ils le desservent.

Voici les principaux :

Présence humaine, visages et regards

Le sourire

Nous sommes biologiquement programmés pour détecter la présence humaine, qui véhicule des informations sociales cruciales. C’est particulièrement vrai si le visage, et surtout les yeux sont visibles, plus encore si le regard est dans notre direction et encore davantage si l’expression corporelle ou du visage exprime une émotion.

C’est également le cas, mais à un degré un peu moindre, pour la présence d’animaux.
Même si la photo comporte de nombreux éléments, s’il y a un être vivant, même de petite taille nous le repérons immédiatemment.

Donner l'échelle

En photo de paysage, il est fréquemment recommandé d’ajouter une présence humaine, pour donner l’échelle, nous permettre de nous identifier au personnage et donc de rentrer dans l’image. C’est intéressant, mais le faire systématiquement je trouve ça attendu et lassant.

Chacun sa vision ! En tous cas, je veille en général à ce que la personne soit de couleur neutre, sauf si elle fait vraiment partie du sujet.

Les randonneurs en jaune fluo c’est bien pour la sécurité mais on ne voit plus que cela ensuite sur la photo ! Heureusement on peut facilement désaturer localement pour calmer ces couleurs trop vives.

Couleurs vives

Car en effet, une tache de couleur vive dans une photo attire toujours l’attention, surtout si l’environnement est constitué de couleurs froides ou ternes.

Rouge !

Très jeunes, bien avant de savoir conduire, nous apprenons que dans les feux tricolores le rouge est signe d’arrêt ou de danger, et le vert signe de permission. Ce code couleur est très largement partagé dans le monde.

L’histoire des couleurs nous montre que c’est le cas pour d’autres symboles et cela impacte profondément notre façon de regarder notre environnement et de lire une image.

Contrastes et luminosité

Fort contraste

Tout comme les couleurs vives, les zones de fort contraste, de couleur comme de luminosité, attirent davantage notre attention que les zones médianes.
L’énoncé initial de la règle des tiers par J.T. Smith traitait ainsi non pas du positionnement des éléments sur des points forts, mais bien de l’équilibre des zones sombres et lumineuses dans un tableau :

« Deux lumières distinctes et égales ne devraient jamais apparaître dans le même tableau. L’une doit être principale et les autres subordonnées, tant en dimension qu’en degré. »

Textes et symboles

Texte en Khmer

Comme l’explique Stanislas Dehaene,

« La lecture est une invention culturelle trop récente pour avoir influencé l’évolution biologique. Ainsi, notre cortex visuel n’est pas génétiquement programmé pour la lecture. Néanmoins, l’apprentissage de la lecture recycle des circuits cérébraux préexistants, initialement dédiés à la reconnaissance des objets et des visages, pour les adapter à la reconnaissance des mots écrits. »

Et comme nous sommes très efficaces quand il s’agit de repérer un visage, nous le sommes également pour repérer du texte ! Même écrit dans une langue et avec des caractères que nous ne comprenons pas comme ci-dessus.

Texte tronqué

Et si le texte est incomplet, nous cherchons automatiquement à le comprendre et à le compléter.
Comme le texte est rarement le sujet, le patron de l’image, c’est le plus souvent un élément perturbateur, particulièrement s’il est situé en bordure de l’image comme le mot « VATTA… » ci-contre.

Dans le même ordre d’idées, les panneaux de circulation routière, les logos de marques, les panneaux publicitaires, sont également des éléments perturbateurs. Nous les repérons immédiatement (système 1 de Khaneman), surtout s’ils contiennent du rouge.

Nouveauté

Inattendu !

Les éléments inattendus, inhabituels ou comiques dans notre champ visuel mobilisent notre attention.

Ces panneaux de signalisation en Australie jouent sur ça pour préserver les casoars.
Efficace non 😂 ?

Les outils de composition

Les éléments qui captent notre attention peuvent servir le patron s’ils sont bien placés dans l’image, mais ils peuvent aussi emporter l’oeil du lecteur hors du sujet, voire même hors de l’image !

Les lignes directrices, les formes et les éléments qui donnent du rythme à l’image et qui reconstituent la profondeur constituent des « outils de composition ». Ce sont eux qui dirigent le regard pendant la lecture et qui doivent donc servir de guide pour placer les éléments qui attirent l’attention.

Lignes directrices

Les lignes directrices sont un outil majeur de composition.

Droites directrices
Droites directrices
route directrice
Route directrice

Elles peuvent être droites, ou pas, comme ci-dessus. Horizontales, verticales, obliques ou diagonales. Constituées d’éléments réels comme un chemin, ou virtuels comme un regard, toutes les lignes sont des guides que nous suivons du regard. Les lois de la Gestalt montrent que notre cerveau adore ranger les éléments dans des catégories connues. Et il est même capable de créer des lignes à partir d’éléments disparates comme dans la photo de Phnom Penh où la diagonale est formée par différents personnages et d’un texte.

Horizontales et verticales

Horizontales et verticales

La référence des lignes horizontales c’est bien entendu l’horizon, et nous avons vu que s’il penche, nous sommes tout de suite mal à l’aise.
Il en va de même pour les verticales, comme celles d’un bâtiment. Et plus la verticale est proche du bord de l’image, qui donne une référence verticale parfaite, plus nous sommes choqués si ça penche. Si on veut le faire intentionnellement alors mieux vaut y aller franchement.

Horizontales et verticales donnent un fort sentiment de stabilité, de calme.

Obliques et diagonales

Les obliques et les diagonales créent une tension, une dynamique dans l’image. Quand elles traversent toute l’image ou presque, elles peuvent aussi nous emmener en dehors. Schématiquement, les obliques montantes sont percues comme positives, allant vers l’avenir, contrairement aux descendantes (dans le sens de lecture occidental…).

Diagonale
Diagonale
Oblique
Oblique

Les regards

Les regards constituent des lignes directrices virtuelles très fortes, que nous suivons instinctivement. Lorsque la personne regarde l’objectif, c’est un véritable aimant !

Dans la première des photos des deux singes plus haut dans cette page, les regards de la mère et de son petit sont tous deux tournés vers l’extérieur, chacun d’un côté, et nous font sortir de la photo. Dans la seconde, l’échange de regards nous laisse imaginer une histoire et cela nous retient dedans. Le recadrage y contribue également en supprimant des éléments qui ne participent pas à l’histoire.

Regard bord cadre

Est-ce à dire que les regards doivent toujours être tournés vers l’intérieur ? On dit souvent qu’il faut laisser de l’espace devant le regard, qu’il ne doit pas buter contre les bords de l’image. C’est souvent vrai. Mais tout dépend de l’intention ! Un regard qui bute contre le bord de la photo peut aussi nous amener à nous interroger sur ce que le sujet regarde et que nous ne voyons pas.

Les formes

Tour de la Dame Blanche

Les formes carrées et rectangulaires, constituées donc d’horizontales et de verticales sont des éléments de stabilité. C’est également le cas des cercles, mais ceux-ci sont assez rares dans la nature.

Courbes et spirales

Les courbes et plus encore les spirales sont des éléments dynamiques.

Les triangles sont des formes très puissantes en composition. Ils donnent un sentiment de stabilité tout en étant dynamiques et on les trouve facilement, qu’ils soient réels (formes d’une montagne, zone éclairée..) ou virtuels, constitués d’un lien virtuel entre 3 objets ou personnes.

Trianges dans les salins du midi
Triangles dans les salins du midi
Triangle de lumière
Triangle de lumière

Rythme et répétitions

La loi de similitude de la Gestalt montre que nous traitons comme un seul élément des ensembles similaires comme ces cabines des pêcheurs au Maroc ou en Norvège. On ne regarde pas chaque élément séparément mais on perçoit la ligne qu’ils constituent. Ces éléments répétés font « rebondir » notre regard et l’emportent d’un élément au suivant. Ils apportent donc une grande dynamique.

Répétition en oblique
Cabanes de pêcheurs au Maroc
Oblique
Cabanes de pêcheurs en Norvège

La répétition peut être moins linéaire que ci-dessus, les éléments étant reliés entre eux par la forme mais aussi par la couleur.

Répétition

Créer la 3eme dimension

La troisième dimension est un élément essentiel de la composition en photo. Il y a bien des façons pour la reconstituer sur un support qui n’en n’a que 2.

Une des plus simples est de jouer sur la profondeur de champ, et donc sur un contraste net/flou.

Maillol, "l'air"
Fillette aux pigeons, Phomn Penh

La 3eme dimension peut également être apportée par une succession de plans. Dans l’image de cette petite fille rieuse, le premier plan flou, la taille des pigeons, du petit garçon en arrière plan et celle de l’adulte assis sur le trottoir sont autant d’indices non ambigus.

Cette succession de chaînes de montagnes se noyant dans la brume depuis le Pic du Midi de Bigorre ainsi que la diminution du contraste et le changement de luminosité créent ici la 3D.

Succession de plans

La technique du « cadre dans le cadre » est également un moyen efficace de montrer la profondeur :

Cadre dans le cadre

Lorsqu’on joue sur des plans successifs pour donner de la profondeur, il est mieux d’éviter que les plans ne se superposent.

A gauche ci-dessous, le haut du toit se confond avec le fond du lac. Cela crée un point de tension. En changeant de point de vue, quand c’est possible, ou sinon en décalant un des plans dans photoshop, ce que j’ai fait ici, la cabane rouge se détache sur le ciel et l’image est plus lisible.

Superposition de plans
Superposition de plans
Eviter la superposition de plans
Eviter la superposition de plans

Composer : organiser les éléments autour du patron

Composer c’est faire en sorte qu’on identifie tout de suite quel est le sujet de la photo et que tous les éléments qui attirent l’attention décrits plus hauts, ainsi que les lignes directrices, les formes conduisent à lui. Pour cela il faut qu’ils soient en harmonie, c’est à dire qu’ils ne se tuent pas l’un l’autre, et qu’ils soient placés au bon endroit.

Le cadre

Au moment de déclencher, nous regardons la scène à travers le viseur ou sur l’écran du boitier. Ce cadre, dont, contrairement au peintre nous n’avons pas choisi le format, constitue la base de l’image. De format rectangulaire, en proportions 3/2 dans la majorité des cas, parfois 4/3, bien plus rarement 1/1, ce cadre imposé nous incite fortement à composer notre image en s’y conformant. Difficile de s’en abstraire au déclenchement et d’envisager un format final différent obtenu en post traitement. Mais on peut anticiper un recadrage en post traitement !

Certains boitiers permettent de visualiser les différents formats « classiques », correspondant généralement à ceux des formats de tirage. Quand on pressent que le format final ne respectera pas celui du capteur de notre boitier, il peut être préférable de cadrer un peu plus large pour ne pas être contraint lors du développement. Le nombre de pixels des capteurs modernes, sans compter les possiblités logicielles de les augmenter, permet d’en sacrifier un peu sans compromettre la possilbité d’imprimer en grand format.

Cadrer plus large est également une bonne précaution lorsqu’on photographie en contre-plongée. Cela permet le cas échéant de redresser les perspectives en post traitement sans perdre de la matière du sujet ou devoir compléter les parties manquantes.

Ne pas faire sortir le regard hors de la photo

Si Monsieur de La Palisse avait connu la photo, il aurait dit que si l’on veut que le spectateur reste longtemps sur une image, il ne faut pas que son regard soit emporté en dehors.

Tous les éléments qui captent l’attention doivent donc ramener notre regard DANS la photo. Les bords sont particulièrement critiques. On en voit un exemple plus haut avec le texte tronqué (« Vatta… ») situé bord cadre. Dans cette même photo, la diagonale créée par les différents personnages nous amène directement vers ce texte tronqué, situé dans la zone la plus lumineuse de l’image. Tout est réuni pour que l’on poursuive cette diagonale à l’extérieur de la photo ! Le sourire de cet enfant et la couleur de son T-Shirt ont bien du mal à nous ramener dedans.

En général, on conseille d’éviter les petits éléments bords cadre comme un bout de branche, une tâche de couleur vive, une lumière vive. Si on ne peut pas l’éviter à la prise de vue, on peut envisager de le supprimer en post traitement.

Border la photo par des bâtiments, des arbres bloque le regard et l’empêche de sortir de la photo. Assombrir les bords en ajoutant du vignetage a la même fonction. Mais attention a avoir le curseur léger : le vignetage ne doit pas attirer l’attention et c’est ce qu’il fait s’il est trop poussé.

Elements inutiles en bordure
Elements inutiles en bordure
Fermer la photo
Fermer la photo
Vignetage trop accentué
Vignetage trop accentué
Répétition

Les lignes directrices doivent mener quelque part. Cela peut être vers notre imaginaire, mais dans l’exemple ci-dessous, la ligne constituée par les Boudhas mène vers deux grands Boudhas au fond, dont un coupé, qu’on ne distingue pas bien. Quel est le sujet : la répétition des Boudhas ou ceux situés au fond ? Il aurait fallu choisir.

Remplir le cadre

Les éléments qui sont dans le cadre doivent y être pour une bonne raison.

Selon que l’on cadre plus ou moins serré, le sens de la photo peut changer du tout au tout. Cadrer large donne plus d’importance au contexte, cadrer serré au sujet. Tout dépend de l’intention. Jouer sur la profondeur de champ, et donc la netteté, permet d’isoler un sujet du fond dans un environnement complexe.

Certains thèmes s’accomodent très bien d’un cadre entièrement rempli, sans bordure. C’est par exemple le cas quand le sujet est essentiellement une texture.

On peut choisir de cadrer large même avec un fond en apparence vide. C’est ce qu’on appelle un espace négatif. Celui-ci peut être un élément actif de la composition, qui aide à définir les formes, à équilibrer l’image. C’est particulièrement utilisé pour des photos minimalistes ou pour donner une impression d’espace ou de solitude.

Texture plein cadre
Texture plein cadre
Espace négatif
Espace négatif

Ne coupez pas ! Vraiment ?

On lit souvent qu’il ne faut pas couper les personnes ou les animaux dans une photo.

Dans la photo de la petite fille qui rit en nourrissant les pigeons, plusieurs pigeons, bord cadre, sont coupés. Mais la psychologie de la forme montre que nous sommes parfaitement capables de reconstituer ce qui manque d’un sujet que nous connaissons. Ici, les pigeons, même coupés, sont situés au premier plan, et ils nous font entrer dans la photo.

Les cadrages classiques en portrait

Pour les portraits, il existe au moins 8 cadrages classiques. On distingue ainsi du plus serré au plus large : le très gros plan, le gros plan ou portrait serré, le portait en buste coupé à la poitrine, celui coupé à la taille, le portrait américain, le portrait italien et le portrait en pieds.
Tous ces cadrages évitent soigneusement de couper un bout de corps et encore plus le visage.

Pourtant, beaucoup de tableaux montrent des portraits ou des corps « coupés ».

Ci-dessous, lors d’une exposition Matisse au musée de l’Orangerie à Paris, à côté du Grand Nu Couché étaient présentées une vingtaines d’études faites par l’artiste pour ce tableau. En voici quelques unes. Dans toutes ces variations, Matisse a systématiquement coupé pieds, bras, et même parfois la tête. Nous n’avons pas besoin de voir le bras en entier pour savoir que c’est un bras et nous ne nous disons pas que cette femme n’a pas de pieds ! Mais elle remplit le cadre.

Matisse - études pour grand nu couché
Matisse – études pour grand nu couché
Matisse - Grand nu couché, Baltimore Museum of Art
Matisse – Grand nu couché, Baltimore Museum of Art

En recadrant la photo de la statue de Maillol « l’air » ci-dessus, on supprime deux éléments de distraction : le quai et les cactus. Quelle version préférez vous ?

Maillol, "l'air"

Alors certes, si on veut faire un portrait de famille, on prend peu de risques en suivant le dogme des différents plans de coupe. Mais tant qu’il y a une intention, une réflexion derrière un cadrage, pourquoi se l’interdire. Après, ça passe ou pas ! Tout le monde ne s’appelle pas Matisse ou Maillol ! 😁.

Les équilibres

Carte de saillance

Les cartes de saillance comme ci-contre mesurent quelle partie d’une photo nous regardons et combien de temps nous restons et/ou nous revenons sur chacune. Le résultat est codé en fausses couleurs.

Tous les éléments que nous avons vu précédemment déterminent comment nous regardons une photo.

Une photo avec un sujet unique et centré comme ce chien est équilibrée, stable.

Si la carte de saillance (virtuelle !) montre que nous ne regardons qu’un côté de la photo, c’est qu’il y a un déséquilibre.

Quand les éléments qui attirent notre attention (personnes, textes, couleurs ou lumières vives…) sont toutes du même côté, il faut se demander à quoi sert l’autre moitié. Une zone sombre s’équilibre par une zone claire mais comme le dit J.T. Smith dans l’énoncé initial de la règle des tiers initiale, « l’une doit être principale et les autres subordonnées, tant en dimension qu’en degré. »

Deux amis

Dans l’équilibre d’une photo, contrairement aux mathématiques, on peut additionner des poires et des bananes. Autrement dit, on peut compenser une zone sombre importante par une zone claire, mais un personnage même petit, ou bien une couleur très vive peut également résoudre correctement l’équation.

Le sens d’un mouvement, créé par une ligne directrice, un regard, peut également être compensé, que ce soit par un autre mouvement ou par un élément qui ferme la photo et empêche l’oeil d’en sortir.

Deux amis

Une oblique peut être compensée par une oblique de sens contraire.

On peut tout à fait choisir une composition asymétrique. Ces images sont souvent très dynamiques. Mais plus l’asymétrie est grande plus le lecteur s’attend à ce que ce déséquilibre soit justifié.

Mais une photo doit-elle nécessairement être équilibrée ?

Tout dépend là encore de l’intention. C’est généralement ce que l’on recherche pour une photo de paysage inspirant la quiétude. Mais « l’ennui naquît un jour de l’uniformité ». Si notre cerveau aime l’équilibre, il aime aussi être réveillé et surpris.

Conclusion

Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce sujet qui est au coeur du plaisir de la photo. Je ne peux qu’inciter le lecteur à poursuivre ce sujet en lisant des livres, des sites web, et surtout en analysant des photos.

S’il y avait des recettes à suivre pour devenir un bon photographe, ça se saurait ! Il n’y a pas non plus comme on le lit souvent de règles de composition qu’il faut connaitre pour pouvoir les dépasser. Le poète ne s’abstrait pas de la langue, de la grammaire, il joue avec, il nous surprend.

De même en photo c’est utile de connaître les éléments qui entrent dans la composition d’une image, non pas pour s’en abstraire mais pour pouvoir jouer avec et développer sa créativité.

La composition n’est pas une science exacte mais un langage visuel subtil où chaque élément doit servir l’intention du photographe.

Au-delà des règles et des théories, c’est la capacité à identifier « qui est le patron » dans l’image et à organiser tous les éléments visuels pour le servir qui fera la différence. Les grands photographes ne sont pas ceux qui suivent docilement des formules, mais ceux qui comprennent intimement comment notre cerveau lit une image et utilisent cette connaissance pour nous émouvoir, nous surprendre et nous retenir.

L’appareil capture la lumière, mais c’est la composition qui capture l’âme.

Pour aller plus loin sur ce thème je vous propose ces deux articles :
L’œil propose, le cerveau dispose, comment nous percevons le monde
Comment (bien) rater ses photos

2 commentaires sur “Diriger le regard : comment créer des photos qui retiennent l’attention”

  1. Bel article !
    On a les mêmes réf de lecture Mouahahah
    Freeman 14 bouquins en étagères… Je crois que j’ai un poussé le bouchon un peu loin. On ajoute B. Joli alt, H. Davis, B. Peterson, D. Duchemin …
    Pour l’imperméable jaune, y en a qui l’achètent juste pour les photos… Pas pour les désaturer…

    1. Merci Christian :). Mêmes références, ça doit être pour ça que j’aime tes photos 😁. Sur les photos argentiques déjà j’utilisais un crayon pour cacher ces vêtements fluos. Plus facile heureusement avec le numérique. Ras le bol aussi de voir des gens bras et jambes écartés, face à la voie lactée avec une torche pour l’éclairer ! La première fois tu trouves ça rigolo mais à force…

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