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Développer, retoucher ou laisser faire ?

On lit assez souvent un commentaire de l’auteur d’une photo disant fièrement : aucune retouche ! comme si c’était un gage de qualité ou de « véracité ».
Faisons le point pour commencer sur cette notion de « aucune retouche »

Aucun développement ? Vraiment ?

Les appareils photos actuels ont des capteurs qui enregistrent des données numériques (des 0 et des 1). Ces données ne sont PAS une photo. Pour visualiser une photo à partir de ce fichier numérique, il faut qu’il soit « traduit ».
L’image visible à l’arrière du boitier au moment de la prise de vue, et celle que le boitier enregistre quand on prend ses photos en jpeg sont des « traductions automatiques » faites par le boitier avec des choix faits par le constructeur.
Une photo « non retouchée » est donc une photo qui a déjà été interprétée par le constructeur. La même scène capturée en jpeg sur un boitier Nikon, Fuji ou Canon par exemple n’a pas le même aspect. En effet pour traduire le fichier numérique, il faut appliquer un profil qui est déjà une interprétation. Un des arguments de vente de Fujifilm par exemple c’est de proposer dès la prise de vue différentes « recettes » (c’est le terme employé par le constructeur) pour simuler les résultats qui auraient été obtenus avec des films argentiques. Certains site proposent de nouvelles recettes chaque semaine. Ces jpeg sont souvent très flatteurs, couleurs saturées, chaudes, portraits adoucis pour masquer les défauts de peau, sans parler des filtres qu’on peut ajouter, parce que c’est ce qui plait à la majorité, ce qui attire l’œil. Ils ne sont donc en aucun cas plus authentiques que ceux issus d’un développement maison.

Shooter en jpeg et considérer en faisant cela que l’on n’a pas modifié (truqué comme certains vont jusqu’à le dire) la photo, c’est simplement dire qu’on a laissé à une machine le soin de décider de ce qu’on a vu, ressenti et eu envie de transmettre à d’autres en prenant cette photo.

Même lorsqu’on shoote en raw, ce qui est vivement recommandé par l’auteur, pour voir ses photos il faut un derawtiseur qui interprète les données numériques pour les rendre visible. Dans lightroom, plusieurs profils de développement sont disponibles.
Ci-dessous, avec le même raw, choisir un profil Adobe couleur ou le profil linéaire du boitier modifie considérablement l’histogramme et l’aspect de la photo. Or, le choix du profil de développement c’est la première étape du traitement. Très peu de gens développent en partant du profil linéaire, d’autant que ce profil n’est pas disponible par défaut dans lightroom étant donné qu’il doit être créé pour chaque boitier. Or, à l’exception du profil linéaire, tous les autres profils modifient le contraste, la saturation, la luminosité, sans que l’on ait accès à ces paramètres.

Par conséquent, il n’y aucune photo qui ne soit pas développée, automatiquement par le boitier ou de façon dirigée par l’auteur de la photo.

Montrer la « vérité »

Les portraits peints commandés par les nobles arrangeaient en général le sujet. Aux premiers temps de la photographie, celle-ci était donc réputée montrer la « vérité » et il a fallu un peu de temps pour qu’elle soit reconnue comme un art. Alors que la méthode de fabrication des Daguerréotypes était révélée en 1839, la première photo truquée de l’histoire date de 1840 !
Il n’a pas fallu attendre photoshop pour retoucher des portraits. Ci-dessous une photo de Staline en 1924 et la même publiée en 1939 alors qu’il était au pouvoir !

Le développement logiciel a certes beaucoup facilité ce travail de retouche et il a du même coup jeté une sorte de suspicion et de discrédit sur le traitement des photos, beaucoup de gens considérant encore que la photo DOIT être le reflet de la réalité.

Destination de la photo

Prendre une photo c’est obligatoirement choisir un sujet, une focale, une profondeur de champ… qui déterminent l’histoire racontée par la photo et l’émotion qu’elle déclenche.
Toutes les photos ne sont pas prises dans le même but. Certaines sont de « simples » souvenirs, d’autres des témoignages, d’autres enfin ont une vocation artistique.
Quelle que soit sa destination, une photo « réussie » est une photo qui déclenche une émotion, positive ou négative et qui retient l’attention. Cette émotion peut venir du sujet (premier sourire de bébé, scène de rue amusante ou choquante, manifestation, reportage de guerre…) et/ou du traitement de la photo pour sublimer une lumière, une architecture, des couleurs, comme le ferait un peintre. Quand je regarde une photo, j’aime savoir quelle était l’intention de l’auteur. Cela ne me dérange pas qu’une photo soit un photomontage, voire même qu’elle incorpore des éléments générés par l’intelligence artificielle du moment que c’est dit, ou montré dans un cadre où il est entendu que ce type de photos est bienvenu. Mon analyse et mon appréciation se fait alors dans ce cadre là, sans chercher à identifier ce qui est réel ou pas.

La photo « vérité »

Il est évident que nous attendons d’un reporter, d’un journaliste, qu’il nous rende compte le plus fidèlement possible de ce qu’il ou elle a vu, même si aucune photo, aucun article ne peut rapporter LA vérité car il y a autant de perceptions de la réalité que de spectateurs ou d’acteurs. Mais elle doit véhiculer une information sur une situation, en plus de l’émotion générée. Elle nécessite souvent une contextualisation qui vient soit du cadrage de la photo montrant une situation dans son ensemble soit du texte d’accompagnement.
Le reporter de guerre ne peut pas aller n’importe où, tout seul, interroger qui il veut et quand bien même il le ferait il ne pourrait retranscrire que ce qu’il a ressenti qui n’est qu’une partie de la situation. Mais cela tout le monde le comprend intuitivement et on sait bien que la même information n’est pas rapportée de la même façon dans tous les médias. En revanche il est clair aussi qu’une manipulation des photos comme celle faite sur la photo de Staline est déontologiquement inacceptable car destinée à tromper.
Sans aller jusqu’au reportage journalistique, si je vois une brochure du syndicat d’initiatives ou le site web du village où j’envisage de passer mes vacances, je m’attends également à ce que l’antenne 5G de 42m de haut qui gâche le paysage ne soit pas effacée sur photoshop (mais rien ne me dit que la photo a été prise de façon qu’on ne la voit pas…).

La photo « artistique »

Face à un paysage qui nous émeut, notre cerveau efface assez facilement les éléments gênants, comme les fils électriques, la poubelle rouge, le touriste en jaune fluo… Pour se concentrer sur la belle lumière, les reflets, l’harmonie des formes. Habituellement, on ne fait pas des photos pour soi mais pour partager cette émotion que l’on a ressentie.
On compare souvent photo et peinture. Est-ce qu’on se demande en regardant un tableau si c’est une exacte représentation de la réalité ? Et qui peut valider la réponse ? L’émotion qu’on ressent en regardant une toile ne tient pas à notre sentiment que le peintre a été fidèle à la réalité et je n’ai jamais vu un tableau sous lequel le peintre ait écrit qu’il avait effacé la verrue sur le nez de son modèle.
De même quand il est clair que la photo essaie d’être artistique (c’est plus ou moins réussi parfois !) je ne demande pas à l’auteur de se justifier, ni de donner les « recettes » qu’il ou elle a suivi dans le développement. Dans certains groupes photos on demande les exifs comme si cela permettait de révéler les secrets de la photo ou de la reproduire. A part quelques cas particuliers de prise de vue (pose lente ou longue, effet de filé), cela ne sert à mon avis absolument à rien. L’émotion ne passe pas par les exifs pas plus qu’elle ne passe par le choix des pigments et de la brosse utilisés par un peintre.

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